Retour en arrière : les supports qui faisaient exister le design graphique des années 70 aux années 90

19 juin 2025

Les magazines : temples du graphisme imprimé

Quand on pense aux supports qui ont défini l’esthétique graphique du passé, les magazines tiennent une place de choix. Entre les années 70 et 90, ils étaient bien plus qu’un simple assemblage de pages feuilletées : ils étaient des manifestations stylistiques, des concentrés d’audace visuelle, et des miroirs des tendances sociétales.

Les revues de mode et de culture : un laboratoire graphique

Impossible de parler des magazines sans citer quelques références cultes. Dans les années 80, le magazine "The Face", en Angleterre, explosait les codes, mêlant typographies agressives, photomontages percutants et images saturées. Il a inspiré toute une génération de graphistes, à commencer par Neville Brody, dont les typographies angulaires résonnent encore aujourd'hui.

De notre côté de la Manche, des revues comme "Actuel" ou "Métal Hurlant" mélangeaient avec virtuosité expérimentation graphique et propos éditorial. Les graphistes de ces magazines n’hésitaient pas à jouer avec les compositions anarchiques, le détournement d’images, et des mises en pages parfois chaotiques, mais toujours innovantes. Feuilleter ces pages aujourd’hui, c’est plonger dans une époque où chaque détail graphique semblait crier : “Regarde-moi !”.

La magie du papier : formats et textures

Les magazines ne se contentaient pas de séduire avec des images et des textes : le papier lui-même participait au storytelling. Les grandes publications comme National Geographic optaient pour du papier glacé, lisse et brillant, valorisant les photos de paysages et de faune. À l’inverse, les fanzines indépendants, imprimés à la va-vite sur du papier recyclé ou du format A5 bon marché, cultivaient une esthétique brute et DIY.

Les affiches : quand le graphisme envahissait la rue

L’affiche, c’est probablement le support qui a le plus marqué le XXe siècle. Omniprésente dans les espaces publics, elle capturait l’attention d’un public large, qu’il soit volontaire ou par hasard. À l’époque, pas de scroll infini ni de "swipe up" ; il fallait avoir une accroche visuelle forte pour marquer les esprits en une fraction de seconde.

La publicité urbaine : grandiloquente et percutante

Les années 70 à 90 étaient une époque où les budgets publicitaires explosaient, particulièrement dans l’affichage grand format. Pensez aux campagnes Coca-Cola, Marlboro ou Levi’s : des compositions minimalistes qui misaient sur des couleurs saturées, des typographies audacieuses (souvent en capitales), et une iconographie immédiatement identifiable. Ces affiches faisaient office de “publicité spectacle” et célébraient l’essor de la culture visuelle de masse.

Une anecdote amusante ? Les affiches des concerts et des événements musicaux, notamment celles du mouvement punk ou new wave, étaient souvent l’œuvre d’artistes locaux ou underground. Leur esthétique brute — des lettrages faits à la main, des collages imprécis — inspirait une authenticité qui contrastait avec la froideur des grandes marques.

L’affiche politique : un design engagé

En parallèle des publicités commerciales, l’affichisme politique jouait un rôle central. La campagne présidentielle de François Mitterrand en 1981, avec son célèbre visuel “La force tranquille”, est un exemple mémorable : composition rigoureusement équilibrée, couleurs douces et apaisantes, et un message ancré dans les mémoires collectives. Derrière ces créations, on retrouvait souvent des graphistes visionnaires, capables de transformer des idées complexes en messages graphiques frappants.

Pochettes de vinyles : la fusion du son et du visuel

Ah, le vinyle. Objet culte, fétiche pour collectionneurs, icône du revival aujourd’hui… Mais à l’époque, c’était surtout un véritable espace d’expression pour les graphistes. Les pochettes d’albums représentaient un territoire de liberté absolue, où le son rencontrait l’image dans toute sa splendeur.

Les pochettes iconiques de l’époque

Si l’on devait citer une couverture iconique par décennie, ce serait peut-être celle de l’album "The Dark Side of the Moon" de Pink Floyd (1973), imaginée par le studio Hipgnosis, ou encore "Nevermind" de Nirvana (1991). Les pochettes, bien souvent, étaient conçues pour prolonger l’expérience musicale : elles donnaient à voir ce que les sons ne pouvaient pas dire directement.

En termes de techniques, on retrouve tout : photomontages, illustrations, expériences typographiques... et ce fameux traitement “fait main” qui rendait chaque artiste reconnaissable au premier coup d’œil. Des artistes comme Peter Saville, designer historique du label Factory Records, sont devenus quasi aussi célèbres que les musiciens pour leurs créations graphiques.

Les supports éphémères : flyers, tickets et blisters

Ce serait une erreur de négliger ces petits supports qui peuplaient le quotidien. Bien qu’éphémères de nature, les tickets de cinéma, les cartons d’invitation, ou encore les flyers de soirées sont autant de traces du design graphique en action.

La contre-culture à l’honneur

Dans les milieux underground, notamment pour les soirées en club ou les concerts dans des lieux alternatifs, tout passait par ces flyers qu’on glissait aux passants dans la rue. C’était souvent du fait-maison, mais cela ne signifiait pas un manque de créativité. Au contraire, la limite des moyens techniques obligeait à redoubler d’imagination : du lettrage découpé, des images volées dans des magazines, ou encore du dessin direct au marqueur noir étaient monnaie courante.

L’effet collection

Ce qui est fascinant, c’est la manière dont ces supports pourtant provisoires trouvent aujourd’hui une nouvelle vie chez les collectionneurs. Un flyer pour une soirée techno des années 90 peut se vendre une petite fortune à condition qu’il soit signé d’un graphiste reconnu. Un rappel que chaque objet, aussi insignifiant soit-il, peut devenir culte avec le temps.

Les autres médiums : des supports inattendus

Enfin, il y avait des supports plus insolites, mais tout aussi impactants pour diffuser l’esthétique graphique. Les packs de cigarettes, par exemple, étaient des objets graphiques à part entière : en témoigne le célèbre logo de Camel, aussi iconique que reconnaissable entre mille.

De même, les enseignes lumineuses qui illuminaient les centres-villes créaient des univers graphiques spectaculaires. Pensez simplement aux néons de Las Vegas ou à la saturation visuelle des grandes artères tokyoïtes : ces lumières scintillantes étaient un véritable terrain de jeu pour le graphisme en trois dimensions.

Vers une réinvention de ces décennies graphiques

Aujourd’hui, le retour en grâce de ces esthétiques vintage ne fait aucun doute. Des graphistes contemporains s’inspirent directement des typographies, des palettes de couleurs et des mises en page de ces supports d’époque pour leurs designs modernes. Pourtant, rien ne remplacera jamais la matérialité de ces objets – les toucher, les humer, les collectionner.

Alors que le numérique prédomine, ces supports physiques nous rappellent que le design graphique ne se vit pas uniquement derrière un écran mais aussi dans le monde réel.