Vintage mais pas ringardes : le revival incandescent des polices serif dans l’identité des marques
1 juillet 2025
Un parfum de machine à écrire – quand la nostalgie s’invite dans le branding
On l’a vu surgir d’un coup, comme un parfum oublié de vieux pulls fraîchement sortis d’un carton au grenier : sur les affiches, les packagings, les interfaces et même sur les bouteilles de gin, la police de caractère à empattements – la fameuse « serif » – marque son retour. Mieux qu’un clin d’œil sur Instagram, ce revival est la preuve vivante que le passé, loin d’être une relique, est redevenu une zone d’exploration, un sous-texte pour exprimer l’identité d’aujourd’hui. Et dans cette grande kermesse du rétro, les polices serif héritées des années 70, 80 et 90 ne cessent d’être plébiscitées par les marques à la recherche d’authenticité, d’élégance, voire d’une forme de subversion tranquille.
Quelques repères chronologiques : pourquoi maintenant ?
- 2010s : L’avènement du « flat design » avec ses sans-serif épurées. Façon Google, Airbnb, Spotify… tout est lisse, digital, tactile et cosmopolite.
- 2020 et au-delà : Fatigue visuelle. Trop de neutralité tue la personnalité. Les marques cherchent de la singularité visuelle, du grain, du verre dépoli. Selon le rapport 2023 de Monotype, 56 % des agences ont réintroduit des polices serif dans leur arsenal typographique dans les 3 dernières années (Monotype Font Trends Report 2023).
- Post-pandémie : Besoin universel de liens, de repères historiques, d’humanité. Les marques tirent parti de la charge émotionnelle véhiculée par la typographie. On redécouvre le storytelling dans la forme même des lettres.
Pourquoi ce retour en grâce des polices serif vintage ? Décryptage
1. La chasse à la personnalité : l’anti-logo générique
Le grand trauma de la décennie dernière, c’est la standardisation. La chasse au snobisme hipster a tout lissé : les enseignes, les apps, les institutions sont devenues indifférenciées. Le fameux « blanding », terme popularisé par Ben Schott pour Bloomberg Opinion, pointe le doigt sur ce trop-plein d’uniformité esthétique. Or, d’après une étude Lucidpress 2022, 68 % des consommateurs associent une identité de marque forte à une police distinctive. Les typos serif, avec leurs cassures, leurs pleins et déliés, insufflent caractère et chaleur humaine – en un mot, elles rassurent.
2. Le storytelling s’invite dans la forme
- Elles portent en elles des récits implicites : la noblesse de l’édition d’art, la rigueur des journaux papier, la force tranquille des affiches de cinéma.
- Une police serif évoque spontanément la durée, l’expertise, la transmission : pour Chanel, Harper’s Bazaar, Vogue, c’est le socle d’un patrimoine immatériel qui transparaît, même sur une simple carte de visite.
- Même Netflix a adopté la tendance : en 2020, la série « The Queen’s Gambit » a inspiré une avalanche d’identités graphiques redécouvrant les empattements, pour figurer sophistication et intemporalité (source : Typewolf).
3. La culture du « revival » – ou l’iconicité pop
Impossible d’ignorer l’influence de la pop culture sur la typographie contemporaine. Le comeback des polices serif évoque aussitôt le goût des objets vintage, la chasse au blouson 80’s dans les fripes, la ruée sur les vinyles et… les cassettes devenues cultes objets déco. L’esthétique « old school » résonne comme une contre-offensive contre l’obsolescence programmée. Sur TikTok, le hashtag #retrotypography cumule plus de 32 millions de vues début 2024 — démonstration que cette esthétique touche autant la Gen Z que les nostalgiques de la première heure.
4. Le design à l’ère des paradoxes : précision digitale, chaleur analogique
- Le digital a tout aplati, mais aussi permis un retour du détail (high-res oblige). On peut se permettre aujourd’hui des polices raffinées, avec contrastes et ornements, sans crainte de perdre en lisibilité.
- Sur mobile : une étude Google Fonts 2023 indique que la lisibilité des polices serif modernes adaptées à l’écran concurrence désormais leurs cousines sans serif, si le choix du corps est bien calibré.
Ce paradoxe (associé à l’usage croissant des textures papier et effets « grain » en interface) renforce la popularité des typos à empattement, qui donnent ce supplément d’âme et de nostalgie, même à l’ère du swipe.
Petite histoire en raccourcis : Serifs, de l’Antiquité à la com’ de demain
On ne va pas refaire tout l’arbre généalogique des typos (promis, sauf si vous me le demandez dans les commentaires), mais :
- Dès le XVe siècle, la typographie dite « romaine » apparaît. Les empattements sont une élégance, mais aussi un héritage structurel de la calligraphie latine.
- Au XIXe, la didone devient la typo de la presse, puis des grandes maisons de mode. Vogue adopte Bodoni (créé par Giambattista Bodoni vers 1798) et crée un imaginaire visuel qui dure encore aujourd’hui (Source : Musée de l’Imprimerie de Lyon).
- Années 1970 : explosion des variantes exubérantes (Cooper Black !), qui s’affranchissent de la rigueur classique. Les polices se démocratisent avec l’offset, les magazines féminins rivalisent d’angles et de fioritures.
Trente, quarante ans plus tard, ce patrimoine revient en force… mais revisité par le digital, customisé, twisté à la sauce contemporaine. Les polices « revival » combinent lignes néoclassiques, variations opulentes et lisibilité optimisée. Le meilleur des deux mondes, en somme.
Mises en situation : qui surfe sur la vague serif vintage ?
- Burger King : rebranding total en 2021 avec une typographie inspirée des années 70, hommage aux restaurants d’origine. La clientèle cible ? Les nostalgiques ET la Gen Z, en quête de récit patrimonial (Source : CreativeBloq).
- Loewe : l’identité à empattements raffinés, clin d’œil à l’Espagne et au patrimoine mode – tout sauf figé, la proof que le serif peut aussi être cool, pointu, moderniste.
- Mailchimp, l’OVNI mailing : passage d’une identité géométrique à un univers décalé avec une serif « Cooper Light », (avec un détourage expressif), façon « dessin à la main 70’s ». La marque capitalise sur la sympathie générationnelle, tout en affirmant sa différence.
- Pinterest : 2022, adoption d’un nouveau logo serif évocateur de scrapbooking et de magazines DIY vintage, afin de mieux exprimer la créativité (Source : Brand New).
Quelques chiffres qui tuent les idées reçues
- Dans une étude CXL Institute 2021, 67 % des consommateurs interrogés trouvent qu’une marque utilisant une serif « a plus confiance en elle ».
- Selon Adobe, les recherches de typographies vintage sur Adobe Fonts ont augmenté de 38 % entre 2019 et 2023.
- Le rapport Upwork 2024 « Top Skills : Design » classe la « recherche typographique créative » (incluant le revival) dans le top 5 des abilités les plus demandées pour le branding (après l’UX et le motion design).
Open : Typo, société et signaux faibles pour la suite
Le retour des polices serif vintage n’est pas juste un effet de style ou le résultat du hasard : c’est le signal fort des aspirations collectives (et collectors !) de notre époque. À l’heure où l’intelligence artificielle convoque la neutralité extrême, où le flux d’images vitesse grand V gomme les aspérités, les identités de marque cherchent à se distinguer par le détail et la texture. Les empattements, dans tout ce qu’ils véhiculent comme histoire, mémoires et couleurs générationnelles, deviennent le terrain de jeu ultime des designers affamés de récit et d’audace.
La prochaine étape ? Les mutations de la serif hybride, entre morphing digital, variantes contextuelles et expérimentation. Ouvrez l’œil, la vague n’a pas fini d’éclabousser nos écrans, nos boîtes de céréales, et – qui sait – peut-être même vos prochaines cartes de visite.