Icônes du design graphique : qui a marqué l’histoire entre 1960 et 1990 ?

27 mai 2025

Le rêve minimaliste de Saul Bass : l’art de raconter avec l’épure

Impossible de parler de l’histoire du design graphique sans commencer par Saul Bass. Américain, né en 1920 à New York, Bass n’est pas seulement un graphiste ; il est un conteur visuel. Entre 1960 et la fin des années 1980, il a redéfini l’art de créer des génériques de films. Hitchcock, Kubrick, Scorsese : tous se sont arrachés ses talents.

Sa recette ? Une simplicité déroutante. Saul Bass s’empare des formes géométriques et des aplats de couleur pour transmettre des émotions immédiates. Son générique pour Psychose (1960), par exemple, est une leçon magistrale de tension graphique où des bandes noires et grises se disloquent au rythme d’une musique frénétique. De même, son logo pour AT&T ou celui de United Airlines sont devenus des classiques du branding, alliant modernité et intemporalité.

Dans un monde visuel aujourd’hui saturé, le travail de Bass enseigne toujours l’art d’aller à l’essentiel. Moins, c’était clairement plus avec lui.

Jan Tschichold et la continuité moderniste

Si Saul Bass a dominé les années 60 avec son modernisme narratif, d’autres figures s’inscrivent dans cette mouvance en explorant davantage la typographie. C’est ici que le nom de Jan Tschichold entre en jeu. Même si sa carrière a débuté bien avant les années 60, son influence reste perceptible tout au long des décennies suivantes.

Tschichold est notamment l’auteur du manifeste du design sobre : Die neue Typographie (1928). Véritable bible pour les graphistes, cet ouvrage promeut une mise en page claire, logique et fonctionnelle. Dans les années 1960, on retrouve ses principes appliqués à la perfection dans les chartes graphiques institutionnelles. Son travail sur les couvertures des célèbres éditions Penguin Books est longtemps resté une référence d’élégance et d’équilibre visuel.

Son combat contre la surcharge visuelle et son amour des grids structurées continuent de résonner parmi les designers les plus rigoureux.

Massimo Vignelli et l’obsession du système

Si vous avez déjà pris le métro de New York, vous avez croisé (sans le savoir) le génie de Massimo Vignelli. Cet Italien visionnaire, installé aux États-Unis, est l’un des grands maîtres de l’idéologie moderniste qui a marqué le graphisme des années 70 et 80. Sa devise ? « Si vous pouvez en parler, alors ce n’est pas moderne. »

Avec sa patte austère mais élégante, Vignelli a conçu quelques-unes des identités graphiques les plus pérennes du 20e siècle. Le plan du métro de New York qu’il réalise en 1972 est sans doute l’œuvre qui le définit le mieux : un mélange de clarté, de logique et d’audace colorée. Pourtant, il divise les usagers, certains le jugeant trop rigide.

À côté de cela, Vignelli marque durablement le branding avec des clients comme American Airlines ou Knoll. Et pour ne rien gâcher, sa passion pour la typographie (il adorait la Helvetica) continue d’inspirer les générations successives de graphistes.

Paula Scher : la fusion entre design et provocation

Dans cette énumération masculine, impossible d’oublier Paula Scher, voix féminine puissante du postmodernisme graphique. Entrée chez Pentagram, la célèbre agence new-yorkaise, en 1991, Scher est devenue une figure incontournable en jouant sur les tensions entre typographie et chaos visuel. Elle utilise les mots autant que les formes comme des éléments plastiques.

Son affichage pour The Public Theater à New York reste à ce jour l’un des exemples les plus parlants de sa maîtrise : des typographies audacieuses, des compositions dynamiques qui captent autant l’œil que l’esprit. Son style iconoclaste reflète une époque où le design contestataire venait bousculer les hiérarchies établies, une esthétique en rupture totale avec les canons modernistes imposés par ses prédécesseurs.

Celle qu’on appelle parfois « la grande prêtresse de la typographie » incarne une révolution féminine et visionnaire : avec elle, le design devient une déclaration.

April Greiman et la révolution digitale

Et que dire d’April Greiman, véritable pionnière du design numérique ? Dans les années 1980, quand l’ordinateur commençait à timidement s’imposer dans le monde du graphisme, elle fut l’une des premières à embrasser cette transformation. Elle a été une figure clé dans l’introduction du pixel, des dégradés et des couches multiples au sein des compositions.

En expérimentant avec le logiciel Macintosh Paint, sorti en 1984, Greiman brise les conventions de l’impression traditionnelle. Son poster Does it Make Sense? (1986), qui mélange abstraction numérique et photographie, est une œuvre-symbole de l’avènement d’une nouvelle ère.

Son travail nous rappelle que le graphisme est une discipline tournée vers l’avenir : adapter de nouveaux outils et repousser les limites ne peut qu’enrichir le champ créatif.

Leurs leçons pour aujourd’hui

Ce qui lie ces figures, au-delà de leurs approches variées, c’est leur capacité à transcender l’utilitaire pour atteindre l’universel. Que ce soit à coup de géométries minimalistes, de typographies provocantes ou d’expérimentations numériques, chacune de ces personnes a inventé un langage graphique propre, toujours pertinent des décennies plus tard.

À l’heure où le revival des années 60 à 90 se manifeste à travers la mode, les campagnes publicitaires et les identités graphiques, s’inspirer de ces pionniers n’est pas un exercice rétrograde : c’est simplement renouer avec des bases solides. En gros, on ne fait pas du neuf sans reprendre les leçons des anciens. Alors, designers et amateurs de style, plongez dans leurs archives — vous y trouverez bien plus qu’un simple coup d’œil nostalgique, mais une source infinie de modernité.