Du psychédélisme aux pixels : l'évolution enflammée du design graphique entre 1960 et 1990
7 mai 2025
Les années 60 : au cœur de la frénésie psychédélique
Dans les années 1960, le design graphique explose littéralement sous l’effet de la contre-culture hippie et de la révolution des mœurs. C’est l’époque où les affiches de concert deviennent des œuvres d’art à part entière, notamment grâce à des studios mythiques comme le collectif San Francisco's Big Five ou des artistes comme Wes Wilson et Victor Moscoso, souvent associés au mouvement psychédélique.
Le style psychédélique se distingue par des typographies alambiquées (parfois illisibles, mais c’est un peu le jeu !), des couleurs électriques et saturées, des motifs organiques qui semblent onduler. Cette esthétique reflète l’influence directe de substances hallucinogènes, mais pas seulement : l’art nouveau et le surréalisme de la première moitié du XXe siècle y laissent également des traces.
- Supports clés : Les posters, les pochettes de vinyles et les magazines alternatifs comme "Oz" au Royaume-Uni ou "Rolling Stone Magazine" aux États-Unis sont les vecteurs primaires de ce graphisme en transe.
- Un visuel culte : Les affiches de concerts pour le Fillmore Auditorium (San Francisco) incarnent tout l’esprit de cette époque.
Les années 70 : graphisme et militantisme
Le graphisme des années 70 se radicalise avec les grands mouvements sociaux de la décennie : luttes féministes, revendications antiracistes, mouvements écologiques. Le design devient un outil de communication engagé, pragmatique, mais non dénué de créativité. De nombreux graphistes s’inspirent des techniques artisanales comme la sérigraphie pour produire des affiches militantes à la chaîne.
Des codes visuels puissants
- Des polices bâtons (comme l’Helvetica) utilisées pour leur austérité et leur rigueur.
- Un retour au noir et blanc, souvent pour souligner des messages bruts, directs.
- Des collages de photos coupées parfois violemment, empruntant au mouvement Dada.
Le graphisme militant des années 70 se diffuse souvent via des petits tirages DIY. Par exemple, le "Guerrilla Girls Poster Project" aux États-Unis ou encore les affiches des Ateliers Populaires de Mai 68 en France ont marqué les esprits et façonné l’imaginaire collectif de cette époque.
Les années 80 : la révolution postmoderne
Si vous cherchez à comprendre l'essence des années 80 en graphisme, deux mots suffisent : postmodernisme graphique. Après les rigueurs fonctionnalistes du modernisme, les designers des années 80 s’emparent du chaos, de la surenchère et du pastiche pour mieux bousculer les codes établis. Le Memphis Group de Milan, emmené par Ettore Sottsass, fait basculer l’art graphique dans une esthétique de la provocation avec des motifs faussement bruts, des couleurs néon et des asymétries à couper le souffle.
Le célèbre designer américain April Greiman adopte les technologies naissantes du design numérique pour explorer le collage digital, mêlant éléments typographiques et photographiques. Pendant ce temps, le duo Tibor Kalman et M&Co réinvente l’identité visuelle des marques en insufflant une dose d’ironie et de réflexivité.
Les supports phares des années 80 :
- Les magazines comme "The Face" ou "ID", emblèmes de la jeunesse branchée.
- Les clips musicaux sur MTV, où graphisme et vidéo fusionnent.
- Les pochettes de disques pop et new wave, souvent frappées du sceau de l’excès (merci Peter Saville pour Joy Division ou New Order).
Les années 90 : entre minimalisme et expérimentations digitales
Bienvenue dans une décennie hybride où cohabitent deux énergies contraires : celle d’un minimalisme qui répond aux excès des années 80, et celle d’un foisonnement digital apparaissant grâce aux premiers logiciels de design comme Photoshop ou Illustrator.
- Le minimalisme : Inspiré par le mouvement suisse et le Bauhaus, les designs se dépouillent pour se concentrer sur l’essentiel.
- Les expérimentations technologiques : Typographies déstructurées, pixel art et premières interfaces web marquent l’apparition d’un design "post-né numérique".
Le collectif Fuse, fondé par Neville Brody, pousse les limites typographiques de ce que peuvent devenir les caractères dans un monde digital, tandis que David Carson défie encore et toujours les règles du "beau".
Le contexte politique, terreau fertile du graphisme
Comment passer sous silence les influences politiques qui traversent le design graphique de cette période ? Les affiches militantes des années 60-70 puisent dans les climats sociaux (guerre du Vietnam, crise pétrolière), tandis que les années 80 célèbrent un capitalisme tout-puissant (symbolisé par des logos comme celui d’IBM signé Paul Rand). Dans les années 90, ce sont les technologies de l’information qui dictent leurs lois, redéfinissant la manière dont l’information visuelle circule.
USA, Europe, Japon : des approches stylistiques distinctes
Il est fascinant de constater combien les styles graphiques diffèrent entre continents.
- Aux États-Unis : L’obsession pour les grandes marques et la publicité glossy domine, en particulier dès les années 80.
- En Europe : Les influences sociales et conceptuelles du modernisme persistent plus longtemps (voir le style suisse).
- Au Japon : Le design graphique se teinte de poésie et de minimalisme, incarné par des figures telles que Ikko Tanaka ou Shigeo Fukuda, spécialistes des affiches aux messages symboliques puissants.
Technologies analogiques : moteurs de créativité
Avant l’invasion des ordinateurs, tout passait par les mains, ou presque : impression offset, sérigraphie artisanale, photomontages manuels. Cette approche analogique imposait des limites qui devenaient, paradoxalement, des terrains infinis pour l’imagination des graphistes. En témoigne le succès des pochettes de vinyles ou encore les typographies gravées à la main dans les années 60-70.
Un âge d’or en question
Peut-on parler d’un âge d’or du design dans les années 70 et 80 ? Oui, sans hésiter. Pourquoi ? Parce que cette période a vu se croiser une créativité sans précédent, des moyens financiers conséquents (portés par le boom économique et culturel), et des figures de proue qui ont inventé le langage visuel que nous continuons de réinterpréter aujourd’hui.
Mais cet âge d’or est aussi un guide, une boussole pour les designers actuels en quête d’inspiration, qui piochent avec bonheur dans les excès colorés d’hier pour mieux répondre aux questions graphiques d’aujourd’hui.