Un âge d’or du graphisme : plongée dans les années 70 et 80
16 juin 2025
Les mutations de l’ère analogique : une révolution des outils de création
Dans les années 70 et 80, on est encore loin des logiciels de design tout-en-un qui peuplent nos écrans actuels. Et c’est peut-être là que tout commence : les graphistes de l’époque travaillent avec des techniques qui, bien que laborieuses, ouvrent la voie à une sophistication inédite.
Les années 70 marquent ainsi le triomphe de la photocomposition, qui remplace peu à peu la composition manuelle ou au plomb héritée de l’imprimerie traditionnelle. Plus rapide et plus souple, la photocomposition libère de nombreuses contraintes et permet de jouer comme jamais auparavant avec les typographies. On pense par exemple à l’explosion des polices dites flashy ou futuristes, parfaites pour incarner l’esprit disco ou la montée en puissance des cultures pop de l’époque.
Dans les années 80, c’est un autre bouleversement qui s’amorce : l’arrivée des premiers micro-ordinateurs et des logiciels de graphisme rudimentaires. L’Apple Macintosh, lancé en 1984, change la donne en rendant le design graphique plus accessible et plus modulable. Même si tout reste encore relativement expérimental, de nouveaux horizons commencent à s’ouvrir.
L’esthétique des années 70 : l’ère des contrastes psychédéliques et des influences pop
Il est impossible de parler des années 70 sans évoquer le tourbillon multicolore dans lequel cette décennie plonge. Après les turbulences politiques et culturelles des années 60, c’est une période d'auto-exploration, d’excès et de liberté graphique. Dans cette époque foisonnante, trois grandes tendances marquent durablement les esprits :
- Les lignes sinueuses et expérimentales héritées du psychédélisme, inspirées de la contre-culture hippie. Des noms comme Peter Max ou Victor Moscoso incarnent cet état d’esprit visuel, où les motifs tourbillonnants et saturés invitent à perdre ses repères.
- La montée en puissance du style funk et disco, reconnaissable à ses couleurs chaudes (orange, marron, jaune), ses typographies voluptueuses et ses emprunts à l’Art déco revisité en version flashy.
- La fascination pour les influences internationales, notamment japonaises, qui amènent un intérêt pour les compositions asymétriques et les formes minimalistes en contraste avec le reste de l’esthétique pompier de l’époque.
Le design des années 70 est également indissociable de l’émergence des magazines lifestyle comme Nova ou Interview, qui insufflent un souffle nouveau. Ces publications n’hésitent pas à mixer photo, illustration et typographie pour refléter l’effervescence des modes de vie urbains. Mention spéciale à Paul Rand, dont les travaux se nourrissent des tensions entre sobriété functionaliste et excès pop.
Les années 80 : quand la technologie amplifie l’excès visuel
La décennie suivante marque une flambée encore plus marquée d’audace visuelle. Le mot d’ordre ? Surexposition. Tout est plus grand, plus brillant, plus exubérant. Nous sommes dans une époque marquée par une obsession pour la nouveauté et la technologie.
Le règne des géométries futuristes
Impossible de parler des années 80 sans évoquer le style Memphis, né en Italie sous la houlette d’Ettore Sottsass. Ce mouvement contamine vite le design graphique avec ses motifs géométriques et ses agencements de couleurs improbables. Les publicités, les pochettes d’albums et les génériques télé s’en emparent pour transmettre un dynamisme quasi électrique.
Autre incontournable de l’époque : le triomphe des néons. Les affiches des clubs, les pochettes VHS ou les jaquettes de jeux vidéo plongent le spectateur dans un univers saturé d’éclairs roses et bleus.
Crise (et maîtrise) du numérique
C’est aussi à cette période que les premiers logiciels de PAO (publication assistée par ordinateur) deviennent des outils courants dans les studios de création. QuarkXPress, lancé en 1987, est l’un des premiers logiciels à transformer les mises en page. Mais les esthétiques restent marquées par l’analogique : collages, découpages et expérimentations manuelles restent très présents avant que les logiciels ne prennent la relève dans la décennie suivante.
Sur la scène musicale, on assiste à une explosion des visuels audacieux dans les pochettes d’albums. Les graphistes comme Peter Saville, connu pour ses travaux pour Joy Division et New Order, marquent l’imaginaire collectif avec des compositions où typographies discrètes et motifs abstraits se révèlent d’une modernité saisissante.
Pourquoi cet âge d’or résonne encore aujourd’hui
Si le graphisme des années 70 et 80 exerce toujours une telle fascination, c’est qu’il a posé des bases solides pour les décennies suivantes. La montée du néo-rétro, omniprésent dans la mode et la culture visuelle d’aujourd’hui, s’inspire directement de ces deux périodes. Vous avez sûrement déjà croisé des réinterprétations des typographies funky des années 70 ou des motifs géométriques façon Memphis dans des campagnes récentes – et ce n’est pas un hasard.
De plus, ce retour aux racines visuelles reflète une envie de retrouver une certaine matérialité dans un monde devenu presque entièrement digital. Les graphistes actuels puisent dans ces esthétiques analogiques car elles incarnent une certaine authenticité, un souffle d’imperfection qui fait parfois défaut aux créations générées par IA ou entièrement logicielles.
Un langage qui continue d’évoluer
Finalement, ce qu’on appelle l’“âge d’or” du graphisme des années 70 et 80 n’est pas figé dans le temps. C’est une période qui reste vivante, mutante, en ce sens qu’elle est reprise au présent, transformée par les nouvelles technologies, sans perdre son essence audacieuse et joyeusement extravagante.
Peut-être devrait-on d’ailleurs parler non pas d’un âge d’or, mais d’un âge de reflets. Car si ces années scintillent tant, c’est qu’elles continuent de nous renvoyer nos propres aspirations d’aujourd’hui : mélanger, exagérer, s’amuser. Bref, célébrer la vie en couleurs et en formes. Et ça, ça n’a pas pris une ride.